Lectures

[U] Le Fouet vivant de Milo Urban

Lire un bon pavé, ça a le charme de vous embarquer longuement, sans retour possible, vers un autre univers. Certes, il faut faire preuve de persévérance, mais lorsque le roman est réussi, on se trouve face à un univers cohérent, aux multiples personnages, et auquel on repense un peu comme si c’était un souvenir. Le problème, c’est que le temps de le lire, ce long livre, on n’écrit pas de chroniques et le blog s’endort.

Le Fouet vivant, je l’ai emprunté à la bibliothèque il y a quelques temps, lorsqu’il avait été mis en avant par les bibliothécaires, mais je n’avais pas pris le temps de le lire. Je crois même que je l’avais à peine ouvert. Cette fois-ci, c’est des rayonnages que je l’ai ressorti, alors que je cherchais un U pour mon challenge ABC dont je commence à voir le bout (plus que cinq !). Il peut compter à la fois comme nouveauté, par sa traduction française – c’est un roman slovaque – que comme livre ancien – il a été publié en 1927. 812m21lYIuL

Difficile pourtant, moi qui suis pourtant un peu historienne de la littérature, de lui donner un âge, à ce livre. Il apparaît en effet singulièrement vivant et neuf. La langue y est particulièrement belle, pétrie d’images et de métaphores qui, loin de rendre l’ensemble pédant ou lointain, nous rivent plus que l’on ne voudrait au réel subi par les personnages. Mais de quoi traite ce livre ? me demandez-vous. Le Fouet vivant nous conte les bouleversements qui secouent le village de Ráztoky, alors que survient la première Guerre Mondiale. Milo Urban nous dépeint ainsi un autre visage de la guerre, loin des tranchées dont on ne fait que deviner l’horreur à l’instar des paysans coincés chez eux. C’est une vie complètement différente que ce que le village a toujours connu, où les femmes s’échinent à travailler la terre sans leurs pères, frères et maris, dans l’espoir de pouvoir tirer de leurs champs assez pour se nourrir tout l’hiver. Ils se trouvent bientôt exploités par l’officiel du coin, pillés par les militaires chargés de maintenir l’ordre et sermonnés par le vicaire qui, en bon chrétien qui hait le péché, a fini aussi par haïr les hommes.

Mais on ne compatit avec le sort des villageois qu’un temps : loin de présenter une vision idéalisée d’un peuple opprimé qui prend conscience de ses chaînes, Milo Urban dénonce également l’hypocrisie et la mauvaise foi des habitants de Ráztoky, qui vont condamner l’un et pardonner à l’autre pour une même faute ; et qui vont longtemps grincer des dents contre l’oppression sans trouver les moyens pour agir. Ce n’est pas une condamnation franche, qui ne serait là que pour servir la satire la plus noire possible : on nous fait comprendre pourquoi le villageois lambda réagit ainsi, et l’auteur ne tombe jamais dans le tort du vicaire, qui méprise tous les hommes sans voir ses propres travers. C’est ce qui fait le force de ce roman : la fresque peinte par Milo Urban est certes sombre, peut-être même tâchée de rouge à certains endroits, mais elle est humaine et sans caricature. L’histoire n’est pas exempte de personnages attachants, et on suit avec intérêt les aventures désastreuses du couple Hlavaj, ou de la vieille Ilčička et de son fils.

Face à cette noirceur, j’ai parfois pensé à une version réaliste et modernisée des Groseilles de novembre, roman estonien que j’avais chroniqué il y a quelques mois. Le thème de l’exploitation des paysans, de l’aliénation des forces vives de la campagne aux intérêts de quelques puissants est en effet au centre des deux œuvres. Celui de la bassesse humaine qui maintient, plus qu’autre chose, cette situation déséquilibrée également. Mais Le Fouet vivant me semble plus optimiste, et je me suis surprise à penser à la fin de Germinal que j’aurais bien apposé au roman, comme une épigraphe personnelle.

Des hommes poussaient, une armée noire, vengeresse, qui germait lentement dans les sillons, grandissant pour les récoltes du siècle futur, et dont la germination allait faire bientôt éclater la terre.

Emile Zola, Germinal.

Le roman connut un grand succès à l’époque mais, la préface nous le rappelle, fut inscrit sur la liste des livres à brûler pour les Nazis et interdit par le parti communiste jusqu’en 1957, avant de devenir un classique. Le peuple de Ráztoky se libèrera-t-il des jougs qui pèsent sur lui ? Je ne saurai trop vous inviter à lire Le Fouet vivant pour l’apprendre par-vous-mêmes.

Note : Ayant oublié mon carnet de notes, je n’ai pas pu recopier de citations du roman pour l’instant. J’en rajouterai une ou deux plus tard, je trouve que cela permet de se rendre mieux compte du ton et du style d’un ouvrage.

5 réflexions au sujet de “[U] Le Fouet vivant de Milo Urban”

  1. Tu en parles avec une passion contagieuse… Beaucoup de mal à me lancer dans un pavé depuis que j’ai une vie professionnelle. Les longues lectures me manquent…

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